Vincent-KaufmannVincent Kaufmann, professeur de sociologie urbaine et d’analyse des mobilités à l’Ecole Polytechnique Fédérale de Lausanne (EPFL) a été récemment interviewé pour l’Observatoire National de l’Activité Physique et de la Sédentarité (ONAPS). Il revient très largement dans cette interview sur la place de la marche dans notre société.

J’ai relevé plusieurs points importants que je vous invité à découvrir ci-dessous et qui mettent en évidence l’importance de la marche, notamment dans l’aménagement de nos territoires.

« Nous constatons qu’il y a une aspiration de la population à tendre vers la proximité et la mobilité active. Retrouver une qualité de vie, ré-enchanter son quotidien, pouvoir se déplacer peu : une frange de la population croissante y aspire. Depuis quelques années, cela a replacé en sociologie la question de la mobilité active (vélo, marche) au centre de préoccupations liées aux mobilités ».

« C’est quelque chose moins présent en France que dans d’autres pays européens mais qui est néanmoins une tendance générale en Europe : la diminution de l’utilisation de la voiture de l’ordre de 1 ou 2% à l’échelle nationale sur les 15 dernières années. Il s’agit d’un fait notable parce que pendant 40 ans, nous avons eu une augmentation de l’utilisation de la voiture au détriment des autres moyens de transport. Maintenant il y a une inversion qui se fait en particulier au profit de la marche dans la vie quotidienne. C’est un phénomène que l’on trouve particulièrement dans les villes, surtout dans les plus grandes, et c’est plus marqué dans les pays du nord de l’Europe. En France, nous pouvons l’observer par exemple à Lyon, à Paris, à Bordeaux. Il y a vraiment cette aspiration à se déplacer moins, moins vite, de rester dans la proximité. Ce besoin se traduit par un report modal, c’est-à-dire la croissante utilisation de certains moyens de transport au profit de la marche« .

« Je pense aussi que les politiques de santé publique jouent un rôle. Les messages consistant à dire « il faut faire 10 000 pas par jour, il est important de ne pas être sédentaire » sont entendus par une partie de la population comme étant une injonction à marcher« .

« Les grands marcheurs urbains expliquent qu’ils se sont rendu compte qu’ils pouvaient très bien aller à pied travailler. Ils ont décidé de le faire car cela fait d’une pierre deux coups : l’exercice physique dans la journée et en même temps cela permet de se reconnecter avec les saisons, la nature… Une deuxième explication est un résultat auquel nous ne nous attendions pas du tout. Il s’agit de retrouver une maîtrise de son quotidien, retrouver le contact avec son environnement, c’est une manière aussi de déstresser« .

« Les récentes enquêtes sur la mobilité du quotidien montrent que le report modal a lieu de la voiture vers la marche, marginalement vers les transports publics« .

« En zone rurale, les difficultés sont plus importantes même si c’est là que l’on est le plus attaché à la micro-localité. Les leviers d’actions sont moins évidents, si ce n’est peut-être, réhabiliter des cheminements piétons traditionnels. Il y a souvent dans le monde rural des anciens chemins qui sont des espaces que l’on peut fréquenter à pied et souvent avec une certaine qualité paysagère. D’ailleurs il y a une initiative actuellement en Belgique sur la réhabilitation des anciens chemins communaux pour essayer de favoriser la marche en milieu rural« .

« J’ai l’impression que la France est coupée en deux sur ces questions : entre les grandes villes et métropoles qui ont beaucoup fait pour l’aménagement urbain, et des villes très petites où il y a finalement très peu de choses. Il y a un tissu de villes de 50 à 100 000 habitants où il y aurait beaucoup à faire pour la marche car il serait possible de tout faire à pied ou presque. La marche est marginale dans la mobilité, tout est organisé autour de la voiture. C’est frappant de voir lorsqu’on tire les statistiques de la mobilité en France, comme les résultats sont différents en fonction du fait que les villes aient de 250 à 300 000 habitants ou moins. En Belgique, Allemagne ou en Suisse, les habitants de petites villes marchent beaucoup. Il m’arrive d’aller en vacances en Ardèche, vers Aubenas. Tout se fait en voiture. C’est tout petit mais il y a une immense zone industrielle qui s’est développée à l’entrée de la ville, accessible uniquement en voiture. Ce sont des politiques qui ne vont pas dans le sens de la marche mais rien n’est irréversible. Je pense qu’il y a une autre question, à savoir que pendant très longtemps la marche n’a pas été considérée comme un moyen de transport pour les planificateurs. Selon eux, si on ne voulait plus de la voiture, il fallait développer des alternatives par des moyens de transport motorisés. C’est comme cela que l’on se retrouve avec des réseaux de transport public inefficaces alors que clairement l’alternative serait la marche et le vélo. Mais il n’y a aucun lobby qui porte la marche et ce n’est pas un enjeu financier. Les choses changent mais pendant très longtemps, on riait au nez des militants pour la marche, comme le relève souvent Jean-Marc Offner, actuel directeur de l’Agence d’Urbanisme de Bordeaux et chercheur spécialisé dans l’étude de la marche« .

« Ce qui est important c’est de replacer l’humain au centre. Je crois beaucoup plus en des politiques de promotion de la marche, des modes de transport de proximité, car non seulement c’est bien pour la santé mais cela permet également de rencontrer ses voisins, de développer des liens sociaux. Je pense que l’avenir de la mobilité est plus autour de ces notions« .

Vous pouvez retrouver l’intégralité de cette interview sur le lien suivant : ONAPS.